En Corée du Sud, un polder doit faire émerger la ville d'affaires de Songdo
L'ambitieux projet sud-coréen de zone de libre-échange d'Incheon (IFEZ), à une soixantaine de kilomètres de Séoul, se fonde sur un usage massif des polders. D'un coût de 41 milliards de dollars, il prévoit l'aménagement de trois espaces, Yeongjong, Cheongna et Songdo, pour partie gagnés sur la mer Jaune, le long de la côte ouest de la péninsule coréenne, accidentée et parsemée de petites îles.
La partie la plus spectaculaire, vitrine de l'IFEZ, est la ville d'affaires de Songdo, un ensemble de logements, de bureaux et d'espaces de loisirs, en cours de construction sur un polder de 607 hectares. Là doivent se dresser la North East Asia Trade Tower, qui sera la plus grande tour de Corée, un centre de convention, un golf, ou encore un "Central Park" de 40 hectares, le tout environné de logements et doté des technologies d'information et de communication les plus avancées. L'ensemble sera relié en octobre 2009 à l'aéroport d'Incheon par un pont de 21,5 km.
Les promoteurs de Songdo, publics et privés, veulent créer un hub financier dans une zone située à moins de trois heures d'avion de 61 villes de plus d'un million d'habitants. Ils souhaitent attirer d'ici 2014 les sièges sociaux de 300 entreprises, une trentaine d'organisations internationales, une quinzaine d'universités étrangères et des centres dédiés au tourisme médical. Ahn Sang-soo, le maire d'Incheon, prévoit une population de 200 000 étrangers en 2020.
M. Ahn, ancien chef d'entreprise entré en politique sur le tard, défend avec enthousiasme un projet initié au début des années 2000 pour contrer les effets de la crise asiatique de 1997. Il voit dans ces développements le prolongement d'un passé actif. En juin, il rappelait au quotidien Korea Times que sa ville avait "relié la Corée au monde et, dans le même temps, favorisé l'installation des étrangers au moment de l'ouverture des ports en 1883. Le premier bureau de poste, la première banque ont été établis à Incheon".
"Le développement industriel et portuaire a continué du temps de la colonisation japonaise", précise un expert étranger installé à Séoul. Plus globalement, l'ampleur des travaux réalisés dans cette zone reflète la volonté centralisatrice du gouvernement. Cette politique doit se traduire par la création d'une mégalopole de 25 millions d'habitants, incluant notamment Séoul et Incheon.
Pour spectaculaire qu'il soit, le projet de Songdo s'appuie sur un savoir-faire bien maîtrisé en Corée du Sud. "Le recours au polder n'a rien d'extraordinaire, précise l'expert. Densément peuplée avec 50 millions d'habitants concentrés sur un territoire équivalent à un cinquième de la surface de la France, la Corée manque cruellement de terrains plats." L'aéroport d'Incheon est ainsi bâti sur un semi-polder. "Trois collines ont été rabotées. La terre récupérée a permis de gagner de l'espace sur la mer."
Les aménageurs n'hésitent pas à recourir au polder, car cette technique reste moins chère que d'acquérir du foncier. Dans le même temps, ces grands travaux se font sans réel souci de l'environnement. La Fédération coréenne pour un mouvement environnemental (KFEM) a beau rappeler que les polders menacent des zones marécageuses à la faune exceptionnelle, voire rare, elle n'est guère entendue. "Des 123,9 km de côte d'Incheon, plus de 99 % sont artificiels aujourd'hui", précisait l'organisation dans un rapport établi en 2008. "Il n'y a aucun débat à ce sujet", ajoute l'expert.
De même qu'il n'y pas de débat sur la situation actuelle du projet qui, dans les faits, n'intéresse guère les investisseurs étrangers. Comme l'observe Philippe Li, président de la Chambre de commerce française, "l'objectif sera rempli si cette zone se développe et se dote d'une activité économique substantielle reposant sur des entreprises, fussent-elles coréennes".
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