Sébastien Falletti - Séoul Figaro
Pour amadouer Séoul et Washington, Pyongyang a autorisé une poignée de Nord-Coréens à voir leurs parents vivant au Sud pour la première fois en près soixante ans.
«En achetant ses cadeaux, je me suis rendu compte que je ne savais rien de lui, ni ses goûts, ni même sa taille.» Les larmes coulent sous les lunettes de Jeon Hyang-ja, en contemplant les paquets de vêtements, parfums, brosses à dents et autres présents qui s'accumulent au centre son petit appartement de Séoul.
À 62 ans, elle se prépare à un saut vertigineux dans le passé : ce matin, elle rencontrera son père disparu en 1948, quand elle avait trois ans, et qui depuis a refait sa vie de l'autre côté du 38e parallèle, en Corée du Nord.
La machine à remonter le temps s'est brusquement emballée au début du mois de septembre, lorsque cette vendeuse a reçu un coup de fil de la Croix-Rouge lui indiquant que son père était en vie au Nord et voulait la rencontrer. «Je veux le remercier d'avoir fait cette démarche.»
«Plus fort qu'une naissance»
Jeon sait qu'elle est une privilégiée. Elle fera partie de la centaine de Sud-Coréens sélectionnés pour retrouver les leurs samedi et jusqu'au 1er octobre sur les hauteurs du mont Kumgang, qui domine la côte orientale de la Corée du Nord. Une réunion sous haute surveillance et sans précédent depuis 2007. Un geste d'ouverture de Kim Jong-il concédé au mois d'août pour amadouer Séoul et Washington. Et une lueur d'espoir ténue pour les 130 000 Sud-Coréens qui attendent toujours une entrevue avec les membres de leurs familles, déchirées par le rideau de fer qui divise la péninsule depuis 1953.
Assis en tailleur dans sa petite maison d'un quartier tranquille de la capitale, Seok Tae Soon, 74 ans, s'apprête lui aussi à vivre l'improbable. «En Corée, on dit que le plus beau moment d'une vie est la naissance d'un enfant. Mais ce que je vais vivre est encore plus fort.» Dans quelques heures, il retrouvera un frère aîné qu'il croyait mort, emporté dans la fureur des combats, un jour d'août 1950. Ce sapeur-pompier à la retraite pourra l'embrasser et tentera pendant ce bref dialogue de rattraper cinquante-neuf ans d'absence. Il lui glissera un petit album photo retraçant les grands moments de la famille, avec en bonne place les funérailles du père dans la ville natale de Daegu. Là où l'offensive nord-coréenne avait emporté le jeune homme de 20 ans. Depuis qu'il a appris, en 2007, que son frère de 79 ans était en vie, Seok vit avec la hantise de manquer ce rendez-vous.
L'amertume de l'après
Mais déjà, Jeon et Seok redoutent l'amertume de l'après, l'absence de tout lien après cette fugitive rencontre. «Je rêve de lui souffler mon numéro de téléphone», explique Seok, comme si la dictature qui n'autorise aucun contact même par courrier pouvait laisser son frère passer des appels internationaux.
«Cette réunion risque d'être la première et la dernière», explique Jeon en serrant la photo jaunie d'un jeune et élégant soldat, qu'elle va retrouver sous les traits d'un vieillard de 92 ans. Car la vendeuse a perdu espoir de voir un jour la réunification de la péninsule.
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