* Im Dienst des Diktators (Au service des dictateurs). Éditions Ueberreuter (Vienne)
La Corée du Nord, pays le plus fermé au monde ? Tout dépend du point de vue. Ainsi, le sol suisse accueille nombre de dignitaires du régime de Pyongyang, souvent dans le plus grand secret. Mais en avril 2010, les journaux suisses s'étaient fait l'écho du départ de Son Excellence Ri Tcheul, 75 ans, à la fois ambassadeur de la Corée du Nord en Suisse à Berne et représentant de la mission nord-coréenne auprès de l'ONU à Genève. Accrédité depuis le 19 février 1988, il était le plus ancien diplomate en poste dans la Confédération. Sa tâche a d'abord consisté à veiller sur l'éducation des enfants du président Kim Jong-il. Kim Jong-nam étudiait à Genève, Kim Jong-chol et Kim Jong-un, le petit dernier qui vient de prendre le pouvoir en Corée du Nord après le décès de son père, à Berne. Kim Jong-un a vécu incognito dans la capitale fédérale de 1996 à 2001.
Ri Tcheul était aussi considéré comme l'un des hommes-clés pour la gestion de la fortune cachée du régime nord-coréen en Suisse, que les Américains estiment entre quatre et cinq milliards de dollars. En avril 2010 toujours, Kim Jong-ryul, un général nord-coréen ayant fait défection, révélait dans un livre que, pendant deux décennies, il avait contourné l'embargo qui frappait son pays en faisant des emplettes en Suisse et en Autriche. Qu'il s'agisse d'armes sophistiquées ou d'équipements de surveillance*. Selon ce général, la famille du dictateur nord-coréen séjournait fréquemment sur les bords du lac Léman, achetant en 2001 pour six millions de francs suisses (un million d'euros) de montres !
Des soldats suisses en Corée
La Suisse et la Corée du Nord entretiennent depuis fort longtemps des relations approfondies. Le site du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) rappelle que le "premier engagement à l'étranger de militaires suisses" a eu lieu en 1953 sur la ligne de démarcation qui sépare les deux Corées ! Depuis, des militaires à croix blanche continuent de surveiller la frontière... Non seulement Berne a établi des relations diplomatiques avec Pyongyang dès 1974, mais la Confédération participe activement à la Commission de supervision des nations neutres en Corée (NNSC).
Il est vrai que le processus de négociations sur le désarmement nucléaire, toujours dans l'impasse, se déroule à Genève. Par ailleurs, la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) a été l'une des premières organisations à soutenir la Corée du Nord frappée par la famine au début des années quatre-vingt-dix. Des agriculteurs nord-coréens viennent s'initier dans les vallées alpines à la fabrication du fromage de chèvre, qu'appréciait tout particulièrement Kim Jong-il...
Programme nucléaire nord-coréen
Toutefois, certains observateurs étrangers s'inquiètent de la taille totalement surdimensionnée des représentations nord-coréennes en Suisse, souvent qualifiées de "nids d'espions". Le journaliste Ron Hochuli, qui a consacré plusieurs articles aux curieuses relations helvético-nord-coréennes, laisse entendre que le régime de Pyongyang aurait noué des contacts avec le réseau du docteur Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise, via la Confédération.
Dans la petite ville de Haag, dans le canton de Saint-Gall, près de la frontière du Liechtenstein et de l'Autriche, l'ingénieur Friedrich Tinner, et ses deux fils, Urs et Marco, sont des spécialistes des centrifugeuses qui peuvent servir à l'enrichissement de l'uranium, et ainsi permettre la fabrication d'une bombe atomique. Depuis les années quatre-vingt-dix, les Tinner sont soupçonnés d'avoir contribué aux programmes nucléaires de la Libye, de l'Iran et de la Corée du Nord... En 2006 déjà, le journaliste Ron Hochuli, dans un article intitulé "Les étranges manoeuvres helvétiques de Kim Jong-il", se demandait si la crédibilité de la "neutralité active" de la Suisse ne risquait pas d'en prendre "un sérieux coup".