LE MONDE | 29.12.08
SÉOUL (Corée du Sud) ENVOYÉ SPÉCIAL
Une myriade de taxis attend devant la gare de Séoul, moteurs coupés, malgré le froid. Quand l'un d'eux embarque un client, les autres déplacent leur véhicule à la force des bras, sans mettre le contact. Depuis le début de la crise, ils attendent entre trois et quatre heures d'improbables passagers. Inutile de gaspiller l'essence.
Ici comme ailleurs, la crise frappe fort et à tous les niveaux. Le secteur industriel et ses fleurons de l'automobile, de la construction navale ou de l'électronique subissent de plein fouet la baisse d'activité. Le constructeur automobile SsangYong a ainsi vu ses ventes chuter de 34,5 % entre janvier et novembre. Il a annoncé, le 21 décembre, qu'il ne pourrait pas payer les salaires du dernier mois de l'année.
Du côté des banques, ce n'est guère mieux. Un spécialiste du prêt au particulier chez KB Star constate : "Avant la crise, je recevais 10 personnes par jour. Depuis, je n'en reçois qu'une ou deux. Et la plupart du temps, je suis obligé de leur dire non. Nous n'avons plus d'argent."
Assèchement du crédit, activité en berne, la Corée du Sud, treizième économie mondiale, a également subi dès le début 2008 une rapide et massive fuite de capitaux étrangers. Le won s'est effondré, suscitant un risque de pénurie de liquidités. Le gouvernement a injecté 60 milliards de dollars (42 milliards d'euros), puisés dans ses réserves. Cette initiative, ajoutée au sentiment de panique qui a prévalu à l'échelle mondiale, a fait plonger l'indice Kospi de la Bourse de Séoul, qui a perdu près de 50 % de sa valeur. L'affaiblissement du won a alourdi la facture énergétique (10 % du produit intérieur brut) et provoqué un regain d'inflation : les prix à la consommation ont crû de 4,8 % en octobre.
"BIPOLARISATION DE LA SOCIÉTÉ"
Les Coréens du Sud en souffrent, d'autant que leur taux d'endettement est équivalent à celui des Américains et que le chômage augmente. Officiellement à 3,1 % (750 000 personnes), il semble stagner depuis plusieurs années, mais ce chiffre n'englobe que les personnes cherchant activement un emploi. En ajoutant celles qui ont renoncé ou qui ne le font pas activement, le chiffre grimpe à 2,75 millions de personnes.
A cela s'ajoute une précarité grandissante. La Corée du Sud compte 9 millions de travailleurs à durée indéterminée, mais aussi 5 millions d'actifs à temps partiel, par intérim ou sous contrat, et 2,1 millions de journaliers. Ces 7,1 millions de travailleurs précaires sont les premiers à subir le contre-coup du ralentissement d'activité.
"La bipolarisation de la société s'est aggravée depuis 1997, note Kim Heung-chong, du Korean Institute for International Economic Policy. La solidarité sociale ne pourra pas atteindre les niveaux connus lors des crises précédentes."
La Corée semble pourtant mieux armée qu'en 1997. "Les entreprises ont un endettement qui représente 96 % de leur capital, explique dans une note Kim Jong-nyun, du Samsung Economic Research Institute, contre 425 % en 1997." Et elles bénéficient d'une compétitivité bien plus élevée.
Le gouvernement, de son côté, a décidé un plan de relance de 14 000 milliards de wons (7,53 milliards d'euros), sous forme de dépenses publiques et de réductions d'impôts et injecté 20 000 milliards de wons pour soutenir les banques. Certains pensent que la Corée du Sud fera partie des premiers pays à émerger de la crise.
D'autres se montrent plus pessimistes. Samedi 27 décembre, le président, Lee Myung-bak, a averti que la croissance pourrait "être négative aux premier et deuxième trimestres 2009". "Le rebond après la crise de 1997 a été rapide, rappelle Kim Heung-chong, car les problèmes ont surtout concerné les nations émergentes et non les économies développées, débouchés des produits coréens."
Ce n'est pas le cas cette fois. Les exportations, traditionnel moteur de la croissance sud-coréenne ne devraient, selon l'OCDE, progresser que de 3,2 % en 2009, 1,2 point de moins qu'en 2008, en raison du ralentissement de la demande en Chine, aux Etats-Unis et en Europe.
Philippe Mesmer